… (suite de l’article précédent : retour sur 6 années d’instruction en famille 1/2)
Et puis un beau jour, notre fils aîné a eu 6 ans. C’en était fini de l’IEF « libre », nous allions désormais être soumis aux contrôles pédagogiques une fois par an.
Première chose à faire : l’administratif.
Oh, c’est bien plus simple qu’une inscription à l’école ! Il n’y a pas d’imprimés à remplir, d’attestation d’assurance et de photos d’identité à fournir ! En premier lieu, écrire la lettre en double exemplaires, une pour la mairie et une pour l’inspection d’académie, annonçant notre choix d’instruction en famille pour l’année scolaire. Ça, c’est fait.
Ensuite, nous recevons une réponse confirmant la bonne réception de notre lettre et le rappel de la loi (impressionnant la première fois !), et une demande de rendez-vous de la part de la mairie pour le « rendez-vous à caractère social » : une dame du service social de la mairie est passée à notre domicile, m’a posé des questions sur les raisons de notre choix, sur la composition de la famille, nos métiers et les activités des enfants, ainsi que sur notre organisation en général. Pas besoin de se justifier : elle n’est pas là pour juger mais juste pour noter ! Elle nous fait parvenir son rapport, ainsi qu’à l’inspection d’académie.
L’année suivante, nous avons à nouveau eu affaire au service social, alors que normalement ce contrôle doit avoir lieu tous les deux ans… la dame elle-même ne savait pas pourquoi elle était là ! Mais elle était sympathique, et a noté de quoi faire plaisir à ses supérieurs !
Enfin, nous recevons la lettre proposant la date du contrôle pédagogique.
Il est temps de se poser les bonnes questions : qu’allons nous présenter à l’inspecteur ? La première année, nous étions confiants, persuadés que le fait de s’appuyer sur la pédagogie Montessori nous mettait à l’abri de tout problème, même si nous ne suivions pas le programme scolaire.
1er contrôle, le désastre.
J’ai accueilli l’inspectrice et le conseiller pédagogique un lundi matin à 10h, seule avec mes 3 enfants de 6, 4 et 3 ans. Tout est allé très vite, le conseiller pédagogique m’a expliqué qu’il allait monter dans notre « salle d’activités » avec mon fils pour qu’il fasse les tests, pendant que je resterais à discuter avec l’inspectrice dans la salle à manger. Je n’ai pas oser m’affirmer, j’ai accepté, et je suis restée là à expliquer notre façon de faire, en me demandant ce que faisait mon fils à l’étage… je me suis sentie coincée, d’autant plus que ma fille de 3 ans, sentant la situation tendue, était scotchée sur mes genoux…
Au bout de 3/4 d’heure, nous sommes montées voir l’avancée de mon fils, qui venait de terminer sa liasse d’exercices (!), avec des commentaires limite insultants du conseiller pédagogique : « il est un peu fainéant! » Nous avons ensuite discuté tous les quatre autour de la table, le conseiller nous a expliqué ce qui n’allait pas dans le niveau de mon fils, qui était éloigné de celui des enfants scolarisés en milieu de CP (parce que tous les enfants ont le même niveau au mois de janvier de leur année de CP bien sûr!), notamment au niveau de l’écriture. Effectivement, mon fils n’écrivait pas encore de façon déliée, et nous n’avions abordé que les minuscules cursives conformément à la progression en Montessori. Du coup, devant des mots écrits en minuscule d’imprimerie, il a eu du mal à les lire d’une part, puis comme il fallait les recopier il a fait du mieux qu’il pouvait, en minuscules d’imprimerie !
Comme il était plutôt en avance en mathématiques, il trouvait les questions faciles, et s’est fait reprendre gratuitement par un « eh bien si c’est facile, tu devrais pouvoir écrire ton 5 à l’endroit ! ». Rien n’a été apprécié de ses connaissances en histoire (sur la période médiévale et incollable sur Louis XIV et Versailles), aucune appréciation ni aucune curiosité sur ses autres activité. Ils sont repartis, et on s’est sentis tous les deux super nuls. Mon fils, parce que c’est ce qu’ils ont réussi à lui faire croire en 1h30. Moi, parce que je n’avais pas su protéger mon fils de ces intrus, et le défendre convenablement.
Nous avons reçu le rapport quelques semaines après l’inspection. Bilan : ses lacunes étaient trop importantes, il fallait travailler plus l’écriture, et ils nous convoqueraient à nouveau pour un contrôle dans 3 mois. Si des progrès étaient notables, nous pourrions continuer l’IEF. Dans le cas contraire, nous serions obligés de l’inscrire à l’école dans les plus brefs délais ! AArgh !
Alors, nous avons demandé de l’aide.
Heureusement, nous nous étions inscrits aux associations promouvant la liberté d’instruction : LAIA (Libres d’Apprendre et d’Instruire Autrement) et LED’A (Les Enfants D’Abord). Elles nous ont été d’un grand secours, grâce notamment à leur service juridique. Nous avons échangé des lettres, qu’elles nous ont corrigé, elles nous ont envoyé les textes de lois pour étayer nos propos… Et nous n’avons eu aucune réponse de la part de l’inspection d’académie à ce sujet. Au bout de deux mois, une lettre, précisant juste la date du second contrôle.
Nous avons pris le soin de renvoyer une dernière lettre précisant que nous n’accepterions pas de nouveaux tests, et comment nous envisagions le déroulé du contrôle : comme une discussion informelle, tous autour d’une table, en présentant nos différentes façons de travailler et mon fils participant à hauteur de son envie et de ses moyens.
Un second contrôle armés jusqu’aux dents.
Cette fois-ci, nous les attendions de pied ferme ! Nous avions confié les deux petites sœurs à nos amis et voisins, pour leur épargner les tensions, et c’était bien plus sympa pour elles aussi. Mon fils ayant suivi toutes nos démarches, lettres, recherches, textes de lois, il savait que nous le soutenions et que nous nous battions pour lui et pour notre liberté. Ça renforce la confiance en soi, non? Nous avions préparé quelques activités Montessori à montrer, et le cahier dans lequel mon fils avait fait un peu d’écriture tous les jours entre les deux contrôles, pour montrer ses efforts et ses progrès.
L’inspectrice et les conseiller pédagogique se sont montrés conciliants bien qu’un peu froids. Ils ont accepté notre organisation, ont vu les efforts et les progrès de mon fils. Ils lui ont juste demandé d’écrire un ou deux mots pour lesquels il avait eu du mal au premier contrôle, c’est tout. Ils se sont montrés au final plus encourageants, presque chaleureux avec lui !
Avec nous, par contre, il y a eu une discussion houleuse sur l’interprétation des textes de lois, notamment celui qui explique qu’il n’est pas obligatoire de suivre le programme scolaire, et que l’enfant doit simplement atteindre le palier 3 à 16 ans. Eux comprenaient que l’enfant devait atteindre chaque palier à l’âge convenu, et n’en démordaient pas !
Enfin, le rapport d’inspection a été bon, à notre grand soulagement. Enfin libres pour un an !
Quelle organisation ?
Oscillant entre unschooling (apprentissages informels) et certaines formes qui nous plaisaient bien (Montessori, Steiner, ou d’autres choses…), nous avons fait un joyeux mélange pour une instruction à notre sauce. Et puis, en nous adaptant surtout à nos enfants ! Car en y regardant de plus près, notre fils aîné avait finalement besoin d’objectifs et d’un rythme régulier imposé pour avancer. Donc, instruction tous les matins. Même si ce n’est pas longtemps, quelques activités au choix, du français, ou des maths, ou les deux… Il râlait, mais une fois le rythme pris, il était fier de ses progrès et de ses réalisations !
Notre grande fille, par contre, s’y mettait naturellement d’elle-même, pas besoin de lui imposer, elle adorait faire toutes sortes d’activités, lire, écrire, peut-être un peu moins compter… Elle était très demandeuse.
Quant à la troisième, il ne fallait rien lui imposer ! Elle faisait ses trucs toute seule dans son coin, sans demander d’aide et s’arrêtant dès qu’on approchait. Lire ? Elle a appris les lettres toute seule. Et les chiffres aussi. Les additions et soustractions ? Elle a observé sa sœur, et s’est débrouillée d’elle-même. Toute intervention d’un adulte dans ses apprentissages était source de vexation.
Et puis, un beau jour, c’était le moment d’un troisième contrôle…
Nous avions renvoyé avec la lettre confirmant la date notre courrier précisant les conditions de la rencontre, ce que nous acceptions et n’acceptions pas, et en situant le niveau de mon fils par rapport au programme scolaire. En français, niveau fin de CP, en maths, niveau CE2…
Le contrôle s’est bien déroulé. Le duo inspectrice/conseiller pédagogique avait l’air transformé : plus sereins, plus décontractés, plus à l’écoute et s’intéressant à ce que montrait notre fils… Même si l’écriture restait faible, ils l’ont encouragé à finir son projet (il avait commencé un lapbook sur son voyage à la Réunion!), ils lui ont demandé d’écrire quelques mots et de montrer comment il faisait une multiplication avec le matériel Montessori, autour de la grande table avec nous. C’était simple et convivial. Le rapport a été bon. Parfait !
Nous avons continué ainsi, avec parfois un peu moins de motivation, de nouvelles tentatives d’organisation, notamment avec un déménagement et l’arrivée du petit frère ! Des périodes avec presque rien au programme, puis des sorties, puis des matinées imposées pendant un mois, puis des vacances… c’est variable, on s’adapte à nos envies ! Et de temps en temps, nous prenons le temps de choisir ce que l’on voudra montrer à l’inspecteur, quel travail, quel projet dont l’enfant est fier, sur lequel il s’est investi ?
Pour le quatrième contrôle, nous étions inquiets.
Pourquoi ? Tout simplement parce que nous avions déménagé, et de fait, nous ne dépendions plus des mêmes personnes que lors des premiers contrôles. Alors, aurions nous le même problème que la première fois ? Nous étions plus aguerris, mais jamais à l’abri d’une incompréhension… D’autant plus que cette fois-ci, notre fille aussi était concernée !
Nous avons à nouveau rédigé notre lettre, expliquant notre fonctionnement et ce que nous attendions du contrôle. Le jour J, nous avons vu arriver un inspecteur jovial, et une conseillère pédagogique habillée d’une grande robe turquoise, souriants. L’inspecteur, après s’être assis à notre table, nous a demandé : alors, je vous ai sentis un peu inquiets dans votre lettre, non? Nous avons pu lui raconter notre expérience, et il nous a expliqué sa façon de voir les choses : pour lui les test étaient importants, car ils permettaient à la fois d’avoir une idée du niveau de l’enfant, mais aussi et surtout de voir sa façon de faire lorsqu’il ne comprenait pas quelque chose. Allait-il demander de l’aide ? Réfléchir par lui-même ? Trouver une solution satisfaisante ou répondre au hasard ?
Nous sommes donc restés avec l’inspecteur, mon mari et moi, pendant que les deux grands étaient installés sur la petite table du salon avec la conseillère pédagogique. Nous avions pris soin de convier les deux plus petits à nos amis ! La porte était restée ouverte, et les enfants savaient qu’ils pouvaient venir nous voir à tout moment. Ils ont eu le choix dans leurs exercices, ne faisaient que ce qui leur plaisait. La conseillère avait apporté des stylos et crayons de toutes les couleurs, ce qui leur a beaucoup plu ! La discussion avec l’inspecteur était très conviviale, il était intéressé par nos choix et notre organisation.
A la fin, la conseillère a proposé aux enfants de raconter ce qu’ils avaient fait, mais ils étaient un peu intimidés par l’inspecteur. Alors elle a parlé en leur nom, en leur demandant de confirmer ses propos, sur leurs choix et sur leur façon de procéder. Nous avons un peu discuter du fait que notre fils écrive très peu, et ils nous ont encouragé à lui proposer des exercices ou jeux pour délier les mains, tout simplement !
Les enfants étaient ravis, nous étions fiers de nous cette fois-ci !
Et l’année suivante… un contrôle pour trois !
L’année suivante, nous avons eu le même duo, les mêmes conditions, le même enthousiasme… pour trois enfants concernés cette fois-ci ! Et une attention de la part de la conseillère pédagogique fort appréciable : notre deuxième fille, 6 ans, avait choisi un exercice de mathématiques dans lequel ils y avait plein de points dessinés, qu’il fallait compter. Ce qui était proposé était de les rassembler par groupe de 10, pour compter plus vite (10, 20, 30, et 4=34). Or elle a trouvé un autre système : elle a commencé à relier les points, pour être sûre de n’en oublier aucun. Mais pour se souvenir d’où elle en était en comptant, elle a choisi d’écrire le numéro de chaque point à côté. Ce qui a été fort long, puis qu’elle a écrit tous les chiffres de 1 à 34 ! Mais elle s’est accrochée, et la conseillère l’a simplement observée, pour ensuite nous faire un compte rendu de sa méthode en affirmant que c’est la première fois qu’elle voit un enfant adopter cette stratégie, et qu’elle a montré une grande persévérance et une grande application !
Alors , en conclusion, si c’était à refaire…
Là encore, un grand oui sans hésitation ! Les périodes de « bas » correspondaient à des périodes de remise en question, de réorganisation, qui sont nécessaires pour avancer, permettent une meilleure cohésion familiale, le développement d’une écoute et d’une argumentation, d’une meilleure confiance en soi aussi bien pour les parents que pour les enfants.
Par contre tous les avantages sont si grands que ni parents ni enfants ne sont prêts à les abandonner : profiter des jours ensoleillés dans des parcs et jardins plutôt que dans une salle de classe, pas de devoirs, pas d’horaires stricts, faire ce qui nous plaît autant que l’on veut… pouvoir aller au zoo, à la piscine, les jours où il y a école ! On a l’impression d’être VIP tous les jours, en profitant aussi de tarifs réduits car en dehors des périodes scolaires ! Et toujours sous cette même motivation : liberté, liberté !
C’est vraiment ça : être des VIP dès qu’on part en balade. Pouvoir profiter des conseils de la bibliothécaire, ne voir personne au zoo, sympathiser avec les employés des musées, les artisans, etc.
Beau bilan en tout cas pour 3 enfants qui semblent avoir des tempéraments bien différents.
merci pour votre article très sincère et vrai, j’ai l’impression, en vous lisant de voir notre parcours !
Bonne continuation !